L’Accord de Paris et l’irrésistible principe de solidarité

Jacqueline Morand-Deviller[1]

 

L’accord de Paris a été signé le 12 décembre 2015 sous le signe de l’urgence : celle de la progression alarmante du réchauffement climatique et celle de l’état d’urgence que le législateur français avait établi un mois auparavant à la suite des dramatiques attentats terroristes à Paris. Il a revêtu un caractère solennel ayant réuni l’ensemble des membres de l’ONU. La  protection de l’air qui, encore plus que l’eau, ne connaît pas de frontières, exige l’universalité. Mais jusqu’ici la diversité des situations et des politiques nationales, l’égoïsme des Etats sous couvert de souveraineté l’ont emporté.

Les conséquences catastrophiques du réchauffement climatique sont régulièrement évoquées au sein du GIEC et des diverses Conférences des parties à la Convention- cadre des Nations unies sur les changements climatiques ( CCNUCC), au vu d’expertises incontestables et de  statistiques alarmantes . Les années 2000-2010 sont les années les plus chaudes que la planète ait connu depuis 1850, date des premiers relevés instrumentaux de la température,- le réchauffement ayant affecté davantage les terres émergées que les océans- et les émissions de CO2 ont augmenté de plus de 60% depuis le Protocole de Kyoto de 1997. L’impact des pollutions atmosphériques sur la santé ( cf. étude Aphekom) est de plus en plus médiatisé ce qui a renforcé  l’engagement des opinions publiques[2]. Les grandes peurs sanitaires sont un puissant levier pour la progression de la protection environnementale d’autant qu’il ne s’agit plus seulement ici de qualité de  vie mais de survie.

En dépit de cette prise de conscience le bilan restait médiocre comme le montrent les conventions sur la pollution atmosphérique qui ont suivi la Convention cadre de Rio de 1992:  Convention  transfrontalière longue distance de 1979,  Convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone de 1985 complétée par le Protocole de Montréal de 1987 ou  Convention sur les polluants organiques persistants de 2001. Décevant aussi fut le Protocole de Kyoto de 1997 [3] qui devait prendre fin en 1992 et a été prolongé jusqu’en 2020 par l’accord a minima de Doha (COP18) en  décembre 2012 qui ne concerne que certains pays dont ceux de l’Union européenne.

La COP21 a été précédée par divers engagements pris au cours des dernières années dont l’impact . utile à la rédaction de l’Accord de Paris. Il s’agit, notamment, de la Conférence de Copenhague ( COP15) qui mettait en avant l’objectif d’un réchauffement climatique qui ne dépasserait pas 2°C (sans toutefois donner de date butoir) , qui décidait de mobiliser 10 milliards de dollars US par an d’ici 2020 pour aider les pays émergents à lutter contre le réchauffement climatique et qui mettait en place un système spécifique de «  mesure, rapport, vérification » ( MRV). Les conférences suivantes apporteront peu de contributions nouvelles [4]et ce n’est qu’à l’approche de la COP21 que des propositions plus constructives seront faites, celle notamment d’obliger les Etats à établir un document détaillé sur leur situation et leurs projets à l’égard du réchauffement climatique.

Ce travail préparatoire est une des causes du succès diplomatique de l’Accord de Paris. Il est certes trop tôt  pour en dresser le bilan mais d’ores et déjà on peut mesurer les progrès accomplis et les insuffisances évidentes. L’un de ses grands mérites est de donner une valeur universelle à un droit fondamental : la solidarité, principe «  particulièrement adapté à notre temps », selon la formule du Préambule de la Constitution française de 1946, intégré à la Constitution de 1958.  L’Accord reste certes très en retrait quant aux obligations propres à maîtriser le réchauffement climatique (I) . Mais il est un pas important vers une solidarité internationale encore faible  qui s’exprime ici par l’obligation faite aux  Etats  d’apporter leur contribution à une œuvre commune, ce que tente timidement la loi française sur la transition énergétique du 17 août 2015 (II).

 

1. La forme et le fond: succès diplomatique, faiblesse des engagements climatiques.

Les réflexions s’ordonneront autour d’un double constat : un bon accord diplomatique (A), un médiocre accord climatique (B)

1.1. Un bon accord diplomatique.

L’Accord de Paris, salué par certains comme «  historique », fut conclu dans le cadre de la COP21 dont le président de la République et le Ministre des affaires étrangères français, en étroite relation avec le Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki Moon, assuraient l’organisation qui  se déroula dans l’atmosphère  particulière de l’état d’urgence [5] adopté après les attentats terroristes du 13 novembre 2015 à Paris. Afin de sécuriser une réunion de cette importance qui rassemblait l’ensemble des chefs d’Etat de la planète,  des mesures de sécurité renforcées furent mises en œuvre et certains militants écologiques, réputés pour leur comportement revendicatif, furent assignés quelques jours à résidence, les «  marches » en faveur de la lutte contre le réchauffement climatiques étant, par ailleurs, annulées. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel, dans une décision du 22 décembre 2015 rejeta leur demande , ce que fera aussi le juge administratif saisi de recours en annulation des décisions.

Comme il a été dit, l’Accord de Paris a été minutieusement préparé au niveau international. A Varsovie en 2013 (COP 19) obligation sera faite à l’ensemble des Etats, sans distinction entre pays développés et pays émergents, de communiquer avec précision la contribution qu’ils souhaitaient apporter à la réduction des GES, ces données étant soumises à évaluation, ce qui fut confirmé à la conférence de Lima en 2014 (COP20) . Les différentes « contributions nationales » devaient être rendues publiques en novembre 2015, accompagnées d’un rapport du secrétariat de la CCNUCC.  Tous les Etats se plièrent à cette contrainte. On alla même jusqu’à rédiger un avant-projet de texte lors de la conférence de Lima, projet destiné à être fortement amendé par la suite. Le grand défi était de parvenir à un accord sur le maintien à 2°C maximum du réchauffement climatique alors que certains Etats, à grands renforts d’expertises, donnaient le chiffre de 3°C comme plus réaliste. Ce ne fut qu’à la suite d’un long marathon et d’une nuit blanche que le seuil des 2°C fut enfin accepté et l’accord enregistré.

L’un des grands mérites de l’Accord de Paris est son universalité. Il a été adopté par la conférence des Parties qui rassemblait l’ensemble des Etats de la planète, comme à Rio en 1992. Par ailleurs, ont été associés à la préparation et à l’exécution de l’accord des acteurs non étatiques: régions, entreprises, investisseurs financiers… [6] qui furent invités à présenter leurs engagements en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique. La signature officielle est intervenue le 22 avril 2016 au siège des Nations Unies à New York[7].

Pour être applicable l’accord doit être ratifié par 55 Etats représentant au moins 55% des émissions mondiales de GES .Il deviendra alors un véritable traité[8].

L’accord est accompagné d’une Déclaration qui commente ses dispositions. Il comporte 29 articles précédés d’un Préambule évoquant l’équité intergénérationnelle, les droits des peuples indigènes vulnérables,  la justice climatique, la Terre mère nourricière et les « responsabilités communes mais différentiées » selon les contextes nationaux.

L’Accord lui-même contient un certain nombre d’obligations que les Etats qui ratifieront le traité devront respecter. La principale est de préparer et mettre en oeuvre tous les 5 ans une contribution nationale afin de «  contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels » ( art. 3 et 4-2° et 3°) . Les Etats devront pratiquer la transparence  en rendant compte du chiffre de leurs émissions et de la manière dont ils assurent leur contribution (art.3-8° et 13° et art.13). Un objectif mondial d’adaptation au réchauffement climatique doit être déterminé (art.7), ce qui devrait être fait lors de la COP 21 à Marrakech, et un bilan mondial des émissions doit être tiré en 2023 et ensuite périodiquement tous les 5 ans (art.14). Quant au financement des pays émergents par les pays développés, il est présentée comme une obligation, mais le chiffre de 100 milliards de dollars US n’est plus avancé  (art 9-1)[9].

Rassembler tous les Etats de la planète, convaincre les principaux pays pollueurs, Chine et Etats Unis de se soumettre à des obligations contraignantes dans le cadre d’un véritable traité n’était pas chose aisée, comme l’avaient montré les échecs de Kyoto et de Copenhague. A New-york lors de la signature officielle, le Secrétaire d’Etat des USA qualifia le texte de Paris comme «  le plus solide et le plus ambitieux jamais conclu sur le climat » et c’est à l’efficacité des rencontres et discussions préparatoires où la diplomatie française, responsable de l’organisation de la Conférence, joua un rôle déterminant ,affichant un optimisme calculé et opiniâtre, ainsi qu’à la pression des pays émergents  dont la survie était menacée par le réchauffement que l’on doit ce succès.

1.2. Un accord climatique médiocre.

Programme d’action pour les Etats dont le comportement sera sous surveillance, l’Accord de Paris laisse planer des doutes sur l’ effectivité de ses dispositions dans la mesure où, à y regarder de près, les contraintes sont légères et leur non respectdépourvu de sanctions.

S’agissant du plafonnement des émissions de GES, les Etats ne sont contraints par aucun délai .Il leur est seulement demandé d’y parvenir «  dans les meilleurs délais » ou «  aussi rapidement que possible », ce qui est en retrait par rapport aux  propositions émises lors des conférences préparatoires. L’article 4-1 se perd dans une formule alambiquée se refusant à utiliser le concept de «  neutralité-carbone » et à retenir des objectifs chiffrés de réduction des émissions de CO2 [10].

La question des «  puits et réservoirs » de gaz à effet de serre  que sont la terre et les océans est préoccupante car ils sont devenus incapables d’absorber la totalité de CO2 émis. 50% environ des émissions restant dans l’atmosphère. Selon les données du projet européen CARBOOCEAN, la capacité du puits de carbone des hautes altitudes de l’Atlantique nord aurait diminué de 50%, et celle de l’Océan austral serait dix fois inférieure aux précédentes estimations. Quant aux puits générés par les forêts tropicales d’Amérique du sud une étude importante de la revue Nature estime que le stockage net a diminué de moitié et se trouve dépassé par les émissions fossiles mais l’Accord se contente d’émettre des souhaits au conditionnel : « les Parties devraient prendre des mesures pour les conserver et le cas échéant les renforcer…notamment les forêts » (art 5-1).

Il est significatif de voir des questions de première importance sorties de l’Accord pour figurer dans la Déclaration qui l’accompagne et qui n’a pas de force juridique obligatoire : reconnaissance du rôle que la société civile et les entités non étatiques sont appelés à jouer, tarification du carbone, mesures à prendre d’urgence avant 2020. L’objectif d’adaptation, le renforcement des capacités prennent la forme de recommandations  et l’on peut s’étonner de l’absence d’allusion aux énergies renouvelables alors que l’Union européenne s’est donné pour objectif qu’elles atteignent 20% de sa consommation d’énergie en 2020, pari que la Chine vient aussi de faire pour l’année 2030 dans son 13ème plan quinquennal adopté en mars 2016. L’Accord reste aussi muet sur la nécessité d’imposer aux Etats de cesser de subventionner les énergies fossiles, comme l’a préconisé le G20, le montant total des aides s’élevant à 5 300 milliards de dollars US,  selon une étude du Fonds monétaire international parue en mai 2015.

S’agissant des sanctions, aucun mécanisme n’est prévu au niveau  international ce qui relance la question d’un Tribunal international chargé de juger les infractions environnementales les plus graves, institution certes difficile à mettre en œuvre. Les contentieux resteront pour l’instant nationaux et les responsables publics ou privés pourront se voir condamnés pour leurs actions ou leurs omissions. Un premier exemple  peut être trouvé dans la condamnation infligée- en première instance seulement-  par un tribunal néerlandais à l’Etat hollandais pour manquement à son devoir de vigilance face au réchauffement climatique en s’appuyant sur des conventions internationales et sur les traités sur l’Union européenne.

 

2. Le principe de solidarité internationale: sursis ou ébauche?

La lutte contre le réchauffement climatique ne peut se passer de  solidarité internationale mais celle-ci reste encore marquée par l’ineffectivité. L’Accord de Paris devrait la faire passer d’un état d’attente et de sursis à un état de projets et d’ébauche

 

2.1. La compétence laissée aux Etats pour contribuer à l’application de l’accord de Paris.

La solidarité, objectif et mode d’action fondés sur l’idée d’une aide mutuelle afin de lutter contre les inégalités,  est un concept qui n’a cessé de progresser . Constitutionnalisé implicitement dans la Déclaration de 1789 – qui, dans ses envolées lyriques préfère parler de fraternité- et dans le Préambule de 1946 avec une vocation surtout sociale,  il n’a cessé de s’élargir pour devenir un concept politique qui,  dans le cadre de l’Etat providence, s’exprime dans les domaines les plus divers :  solidarité entre les générations ( cf. plan solidarité «  grand âge »), entre les bien portants, les malades ou les personnes dépendantes, solidarité fiscale ( cf. impôt de solidarité sur la fortune), économie solidaire, finance solidaire…

La mondialisation a fortement modifié les relations de dépendance et d’interdépendance entre les hommes, les Etats, les économies, les ressources  naturelles et la solidarité  devient internationale  au regard d’ enjeux  de court terme (réponse aux urgences, aux crises, à la reconstruction) et de moyens et long terme (prévention, éducation, santé, environnement…). La protection des écosystèmes, le développement durable exigent une solidarité intergénérationnelle dans le temps et une solidarité dans l’espace .[11]

La question du réchauffement climatique offre un terrain d’expérimentation particulièrement adapté à la mise en œuvre de la solidarité internationale et, à cet égard, la présence à Paris dans le cadre de la COP21 de l’ensemble des Etats de la planète et  les engagements qui ont été pris sont une réussite. Cette mondialisation de la mobilisation est aussi le fait des  différents « groupes » de la société civile : 7.000 régions, provinces ou villes ont souscrits l’ engagement de 100% d’énergies renouvelables, ce qui a été repris par une «  déclaration des 1 000 maires » et par  53 grandes entreprises du secteur privé. Plus de 1 000 investisseurs privés représentants 30 000 milliards d’actifs se sont engagés à rendre publique leur empreinte carbone afin de comparer l’impact sur le climat des choix d’investissement. Les déclarations se sont succédées pour affirmer que le XXIème siècle signera la fin des énergies fossiles, que le développement de microcentrales, petites structures préférées aux anciens monopoles, ainsi que  l’apparition de nouveaux acteurs changeront complètement les modes de production de l’énergie : avec le renouvelable, en particulier le solaire, ne va-t-on pas assister au développement de systèmes où les consommateurs d’énergie pourront être aussi des producteurs.

Mais cette universalité se limite  à des engagements dont la force juridique obligatoire est faible et dont la mise en œuvre est laissée aux Etats.  Souverainetés nationales contre solidarité internationale , pluralisme contre unité du droit. L’accord de Paris est trop incitatif et trop lacunaire. C’est ainsi, autre manquement à la solidarité, que l’ensemble des facteurs du réchauffement climatique aurait dû être pris en compte par l’ accord  de Paris alors que certains- et non des moindres-  en ont été délibérément exclus comme c’est le cas  des transports aériens et maritimes. Le premier pèse 3% des émissions carbone mondiales dont la a croissance est de 5% par an et on estime qu’en 2050 ses émissions de CO2 pourraient être multipliées par 7 par rapport à 1990. En dépit de ces menaces, le  secteur reste réservé à l’Organisation de l’aviation civile internationale ( OACI) où les intérêts des compagnies aériennes sont surreprésentés et  dont les négociations manquent de transparence. Les mesures préconisées pour maîtriser le réchauffement climatique, lors de sa réunion à Montréal en mai 2016, sont nettement insuffisantes  et le carburant utilisé dans les transports aériens bénéficie d’un régime fiscal d’exception étant  exonéré de toute taxe au niveau international.

D’ores et déjà les difficultés d’une application effective de l’Accord de Paris sont perceptibles. On peut espérer que le nombre des ratifications exigées sera assez rapidement atteint , mais d’ores et déjà la réaction de certains pays montre les reculs à prévoir .tant certains Etats se montrent attachés aux énergies fossiles[12]. Par ailleurs, entrée en vigueur ne veut pas dire applicabilité et les dispositions du texte ne seront applicables qu’en 2020. « L’urgence est immobile », selon l’expression de B. Laville[13]. Les politiques ont accumulé un certain nombre d’erreurs tant à l’égard de la réduction en urgence des émissions de CO2 qui exige de fixer un tarif élevé pour le carbone qu’à l’égard du développement des énergies renouvelables qui exige  un effort accru de recherche pour préparer l’avenir. Les mécanismes retenus qu’il s’agisse des quotas d’échanges de GES[14] ou , en France, des tarifs d’achat garantis aux producteurs d’électricité ont montré leurs insuffisances.

L’application des engagements de l’Accord de Paris reste donc soumis à la bonne volonté des Etats. Il s’agit d’une démarche de « botton up » reposant sur les engagements volontaires des pays à l’égard de la réduction des émissions, moins ambitieuse mais sans doute plus réaliste que la démarche de «  top-down » reposant sur un objectif mondial et une répartition plus autoritaire entre les différents pays On peut certes penser que le mauvais comportement d’un Etat ne manquerait pas de faire l’objet d’une réprobation de la communauté internationale, et que le risque d’une mise à l’écart aurait un effet dissuasif. On peut penser aussi que certains Etats trouveront de bonnes raisons de tergiverser en s’appuyant sur leur situation particulière et en retournant la solidarité internationale en leur faveur. Dès lors, il faut espérer que, dans un premier temps, les Etats, soutenus par la société civile,  respecteront leur engagement de présenter régulièrement, dans la transparence, leur contribution à la lutte contre le réchauffement climatique, ce qui permettra un examen  régulier par la communauté internationale ouvert à de nouveaux engagements.

La France a adopté le 17 août 2015 une loi sur la transition énergétique qui conduit à s’interroger sur l’importance de sa «  contribution » à la lutte contre le réchauffement climatique.

 

2.2. La contribution à la lutte contre le réchauffement climatique de la loi  du 17 août 2015.

La France s’était dotée de deux lois sur l’air , celle  du 2 août 1961 portait sur la lutte contre les pollutions atmosphériques et les odeurs, et celle du 30  décembre 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie dont les intitulés montrent la désuétude . Les  deux Grenelle de l’environnement appelaient  le législateur à adopter une loi d’envergure répondant à la consécration par la Charte de l’Environnement du «  droit reconnu à chacun de vivre dans un environnement équilibré qui ne nuise pas à sa santé » , dont l’ élément essentiel était  le «  droit reconnu à chacun de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé » ( art. L220-1 Code environnement).  La loi Grenelle I de 2009 place la lutte contre le changement climatique au premier rang des priorités et confirme l’engagement de la France de diviser par 4 ses émissions de GES entre 1990 et 2050 en réduisant de 3%  en moyenne chaque année les rejets dans l’atmosphère. La loi Grenelle II retient diverses  dispositions relatives à la maîtrise de l’énergie notamment dans les bâtiments et les transports.

La loi du 17 août 2015 sur la transition énergétique pour la croissance verte, adoptée peu avant l’Accord de Paris ,est plus ambitieuse insistant sur l’objectif global d’une «  croissance verte » ,désormais parée de toutes les vertus : création d’emplois et de progrès,  renforcement de la compétitivité par la valorisation de nouvelles technologies et la conquête de nouveaux marchés, conquête de l’indépendance énergétique, sans oublier la protection de la santé et la  lutte contre le réchauffement climatique. Le concept de solidarité y trouve place puisque le «  nouveau modèle énergétique français plus diversifié, plus équilibré, plus sûr et plus participatif  (est fondé) sur la complémentarité des sources d’approvisionnement »[15].Adoptée à la suite de longs débats entre les deux chambres en désaccord sur le nucléaire, elle marque la volonté de la France de se désengager progressivement des énergies fossiles au profit des énergies renouvelables. Avant de parvenir à un désengagement total un «  mix énergétique » doit être envisagé.

Plusieurs engagements sont pris et des délais sont retenus. Par rapport à 1990, il est prévu une réduction des émissions de GES de 40% en 2030 et le respect de l’objectif de division par 4 des émissions de GES  à l’horizon 2050 ; par rapport à 2012, il est prévu une   réduction de la consommation des énergies fossiles de 30% en 2030, la part des énergies renouvelables étant portée à 32% de la consommation finale brute d’énergie ;  à l’horizon 2025 la réduction à 50% de la part du nucléaire est envisagée . Ces objectifs s’inscrivent parmi ceux d’une Union européenne de l’énergie dont la mise en place est souhaitée.

L’intérêt de la loi qui, après l’incantation de l’exposé des motifs, se présente comme très « technique » est de mettre en place les moyens de répondre à ces objectifs. La solidarité est recherchée dans une mobilisation de l’Etat, des collectivités territoriales et de la société civile : entreprises, associations dans un climat de transparence « notamment sur le coût et les prix des énergies et sur leur impact sanitaires, sociaux et environnementaux ». La région est le chef de file dans l’action commune des collectivités territoriales en faveur du climat et de la qualité de l’air et de l’énergie [16]. Cette action est rationalisée dans un «  plan climat-énergie territorial » dont doivent se doter les EPCI de plus de 50 000 habitants. La loi prévoit la création de «  territoires à énergie positive » engagés dans une démarche permettant d’atteindre l’équilibre entre consommation et production d’énergie, de favoriser l’efficacité énergétique, la réduction des émissions de GES, la diminution des énergies fossiles le développement des énergies renouvelables.

Plusieurs domaines d’intervention prioritaire ont été choisis. Il s’agit de la rénovation des bâtiments, des transports et des déchets. Pour répondre aux objectifs du «  logement décent » et de la performance énergétique  , une baisse de 15% de la précarité énergétique doit intervenir d’ici 2020 dans le cadre de l’engagement  de rénover énergétiquement 500 000 logements par an à compter de 2017 et un Fonds de garantie pour la rénovation énergétique est  créé qui pourra financer des prêts destinés aux travaux de rénovation.  Pour répondre à l’objectif de «  transports propres » divers moyens seront mis en œuvre : priorité donnée aux véhicules les moins polluants, développement des transports collaboratifs ( autopartage, covoiturage), lutte contre l’étalement urbain, possibilité de créer des « zones à circulation restreinte ».La prévention contre la production incontrôlée  des déchets s’appuie sur l’ « économie circulaire »[17], un concept intelligent  qui repose sur le réemploi des produits et sur l’allongement de leur durée de vie afin de  « promouvoir une consommation sobre et responsable des ressources ,en privilégiant les ressources issues du recyclage » ( art.L 110-1 code environnement) . Les collectivités locales sont tenues d’instituer un service public de prévention et de gestion des déchets et de généraliser le tri à la source. Des pourcentages chiffrés de  réduction et de valorisation sont retenus[18]. La définition du déchet qui se fondait sur sa destination à l’abandon devrait change et le déchet devenir un produit.

La loi institue divers mécanismes de promotion des énergies renouvelables sans aller jusqu’à  supprimer l’obligation et le tarif d’achat préférentiel de l’électricité , fortement critiqué dont elle réduit cependant les avantages. Quant à l’énergie nucléaire, l’objectif d’une réduction de 50% de sa part dans la production d’électricité à l’horizon 2025 est confirmé ( art.L 100-4 code de l’énergie). La loi insiste sur le renforcement de l’information et de la transparence, accroît les moyens de contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire et donne quelques consignes à propos de la délicate question de la fermeture et  du démantèlement.

La loi française sur la transition énergétique est porteuse d’engagements précis susceptibles d’enrayer la dramatique progression du réchauffement climatique. Elle répond à l’accord des Etats lors de la COP21 d’apporter régulièrement leur contribution à  cet objectif .Mais cette démarche ne correspond plus aux attentes des sociétés contemporaines à la recherche de l’effectivité et de l’efficacité du droit. Celles-ci ont progressé dans les droits nationaux et doivent continuer de le faire, mais elles sont  tout à fait insuffisante au niveau international, ce qui est particulièrement grave en droit de l’environnement.

 Le droit international  reste trop déclamatoire et incitatif , «  droit souple » qui a ses mérites mais qui doit s’accompagner de mesures d’application précises et obligatoires. Par ailleurs, il reste fait par les Etats et pour les Etats. L’environnement devrait être, une fois de plus,  un terrain de révélation et de fertilisation. Une des voies offertes, est celle de la participation des acteurs non étatiques ( non state actors) et de la société civile en général, laquelle pourrait être institutionnalisée.  Dans un premier temps, une convention internationale, ouverte à tous les Etats membres de l’ONU, pourrait être adoptée qui , en s’inspirant de la Convention d’Aarhus , imposerait l’insertion  des droits d’information, concertation et participation dans l’ensemble des conventions internationales prises en matière environnementale . Elle  prévoirait  ensuite des mécanismes permettant aux acteurs non étatiques d’intervenir plus directement que ne le font les nombreuses ONG dans leur rôle d’observateur et d’intervenants dans les négociations. En amont une initiative citoyenne au niveau mondial pourrait se prolonger en aval par la reconnaissance du droit de saisir les comités non juridictionnels chargés du contrôle  de l’application de certains traités, procédures dites de «  non respect », ce droit étant actuellement limité aux collectivités, associations et organismes les plus représentatifs. La Convention d’Aarhus, décidément excellente, a prévu une telle  saisine élargie .

 De telles mesures, seraient aisées à prendre, posant moins de problèmes que la création de juridictions environnementales internationales spécialisées en environnement. La révolution des nouvelles technologies de la communication, la sécurisation des «  lanceurs d’alerte » donneront une ampleur nouvelle à la participation citoyenne.

L’ Accord de Paris ouvre la voie à la reconnaissance de l’irrésistibilité de la solidarité internationale environnementale. Si elle devient effective, elle pourrait aussi conduire à l’irréversibilité d’une démocratie participative internationale.

 


[1]Professeur émérite à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne.

 

[2]L’Organisation mondiale de la santé ( OMS) a publié le 12 mai 2016 un vaste panorama de la qualité de l’air en milieu urbain, couvrant 3 000 villes ,soit 42% de la population urbaine mondiale et 103 pays. Il rend compte d’une augmentation de 8% de la concentration des niveaux de particules fine   depuis 5 ans et du dépassement du seuil maximum fixé par l’OMS ( 20 microgramme par mètre cube : ug/m3) pour la concentration moyenne annuelle dans 98% des municipalités de plus de 100 000 habitants. La ville la plus polluée ( 540 ug/m3) est Peshawar au Pakistan. Alors que la qualité de l’air urbain a tendance à s’améliorer dans les pays développés, elle s’aggrave dans les pays émergents.

 

[3]Le Protocole de Kyoto avait fixé des objectifs de diminution obligatoire des émissions de gaz à effet de serre (GES) par les pays développés en vue de réduire leurs émissions globales d’au moins 5% par rapport au niveau de 1990 entre 2008 et 2012. Mais l’ineffectivité était inévitable : exigences trop fortes, pas d’obligations pour les pays émergents, non ratification par les USA principal émetteur de CO2.

 

[4]Voir cependant la création d’un Fonds vert pour le climat à Cancun (COP 16) et le rappel de l’engagement de ne pas élever de plus de 2°C  la température moyenne à Durban en 2011 ( COP17).

 

[5]Voir J.Morand-Deviller « Réflexions sur l’état d’urgence »    in Mélanges en l’honneur du professeur Mohamed Salah Ben Aïssa. Tunis 2015.

 

[6]Ils sont présentés comme le portail NAZSCA ( zone des acteurs non-étatiques pour l’action pour le climat), projet lancé par le Pérou et prolongé par un Plan d’action Lima-Pérou.

 

[7]175 délégations étaient présentes et une certaine mise en scène renforça la médiatisation : discours d’une jeune Tanzanienne de 16 ans et de l’acteur Léonardo Di Caprio implorant «  d’agir et de nous protéger ».La France a été la première à parapher l’ Accord de Paris et a annoncé son intention d’être la première à le ratifier.

 

[8]Les prises de position des USA quelques semaines auparavant avaient suscité des craintes . A la suite d’une déclaration franco-chinoise du 2 novembre 2015 où était évoquée la nécessité d’un «  accord contraignant » , le vice-président des USA avait repoussé l’idée d’un traité et de contraintes comme à Kyoto, position sur laquelle il était revenu par la suite.

 

[9]« Les pays développés parties fournissent des ressources financières pour venir en aide aux pays en développement parties aux fins tant de l’atténuation que de l’adaptation dans la continuité de leurs obligations au titre de la Convention ».

 

[10]Des pays comme l’Australie pourront profiter de cette absence de délais contraignants. Un rapport publié en mai 2016 montre que la majorité des coraux de la Grande Barrière( le plus important ensemble corallien du monde) est menacée de mort d’ici 20 ans du fait du réchauffement climatique. Dépendante du charbon , l’Australie  fait partie des pays les plus pollueurs par habitant et les objectifs qu’elle s’est fixée pour réduire ses émissions de CO2 ne tiennent pas compte de l’urgence à intervenir.

 

[11]La solidarité internationale a d’abord été assurée par ou avec de grandes institutions telles que l’ONU et ses agences (UNESCO, UNICEF, OMS, OIE…, la Banque mondiale, le  FMI, ou encore de grandes ONG telles que la Croix rouge internationale, Oxfam, Médecins du monde, Amnesty International, Survival International, le Secours catholique, WWF, Greenpeace … Elle s’est aussi développée au sein des collectivités par des actions de coopération décentralisée. Un Haut Conseil de la coopération et de la solidarité internationale( HCCI) avait été créé en France en 1999. Estimé trop coûteux et peu efficace il a été supprimé en 2008.

 

[12]La Cour suprême des Etats Unis a suspendu , en février 2016, l’application du « Clean Power Plan » qui impose aux centrales électriques des réductions drastiques des émissions de CO2 à l’horizon 2030. Quant à l’Union européenne signataire de l’Accord de Paris ainsi que ses 28 membres, elle s’est révélée incapable de relever les objectifs du «  paquet climat » qui prévoyait une réduction de 40% des émissions de GES d’ici à 2030 devant le refus de pays carbonés comme la Pologne et la République tchèque et l’attitude ambigüe du Royaume uni.

 

[13]Voir « Quelles solutions face au changement climatique ? »  B. Laville, S.Thiébault, A.Euzen, Ed. CNRS, 2015.

 

[14]Ces marchés ont donné lieu à une énorme escroquerie qui a coûté 1,6 milliards d’euros à l’Etat français, le procès des fraudeurs s’est tenu en mai 2016 à Paris.

 

[15]Voir Document Assemblée nationale n° 2188, 30 juillet 2014, p. 3).

 

[16] Loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

 

[17]V. «  L’économie circulaire : état des lieux et perspectives et Rapport complémentaire,2015 ».  Publications de l’Institut de l’économie circulaire créé en 2013.

 

[18]A l’horizon 2020,réduction de 30% des déchets non dangereux et non inertes admis en stockage, réduction de 50% des quantités de produits manufacturés non recyclables et valorisation, sous forme de matière, de 70% des déchets du bâtiment et des travaux publics.