Le contrôle sur les collectivités territoriales du point de vue constitutionnel

Michel Verpeaux[1]

Sommario: 1. L’encadrement constitutionnel du contrôle des collectivités territoriales. – 2. La conciliation d’exigences constitutionnelles.

La France est un vieil Etat unitaire dans lequel le pouvoir central a toujours exercé un contrôle étroit sur les autorités locales. Sans même remonter à l’Ancien Régime, c’est-à-dire à la période antérieure à 1789, les pouvoirs locaux étaient placés, au moment de la Révolution française, sous le contrôle hiérarchique des autorités étatiques. L’image napoléonienne de la nécessaire exécution des ordres, circulant avec la rapidité du fluide électrique, depuis la Premier Consul jusqu’aux maires de toutes les communes de France a longtemps illustré ce phénomène de subordination. En conséquence, le contrôle exercé sur les actes des administrateurs locaux prenait la forme d’un contrôle hiérarchique et d’autorité.

Le contrôle a progressivement évolué avec le développement du contrôle de légalité sur l’ensemble des actes administratifs et de la justice administrative dans le dernier tiers du XIXème siècle. Le Conseil d’Etat a reconnu aux collectivités locales, principalement les communes, la recevabilité de recours contre les actes de tutelle de l’Etat dans sa décision du 18 avril 1902, Commune de Néris-les-Bains. Le terme même de «tutelle», emprunté au droit privé et au vocabulaire du droit des incapables majeurs et mineurs, témoignait de la grande dépendance des autorités locales, renforcée par la double qualité des maires et des préfets, à la fois autorités de l’Etat et organes d’une décentralisation naissante au profit respectivement des communes et des départements. La loi du 5 avril 1884 relative à l’organisation municipale mentionnait, quant à elle, la «surveillance» exercée par l’administration supérieure (art. 97), afin de distinguer ce contrôle de celui manifestant un rapport d’autorité.

Parallèlement, la législation a connu des évolutions depuis la fin du XIXème siècle qui se sont concrétisées par la réduction progressive du nombre d’actes soumis à autorisation préalable, de la part du ministre puis du préfet, afin de pouvoir être exécutoires. Le régime de tutelle avait subi une évolution, depuis la loi du 10 août 1871 sur les conseils généraux et la loi du 5 avril 1884 relative à l’organisation municipale, dans le sens d’un allégement du contrôle exercé sur les actes des collectivités et ces textes se sont inscrits dans le mouvement général-mais timide- de décentralisation qu’a connu la France à cette époque. La loi n° 70-1297 du 31 décembre 1970 sur la gestion municipale et les libertés communales a contribué à l’allégement de la tutelle administrative en réduisant le nombre des actes communaux soumis à un régime d’approbation préalable, réservé aux actes les plus importants, notamment ceux à caractère budgétaire. Elle a constitué l’avant-dernière étape avant les lois de décentralisation, selon l’expression consacrée, adoptés à partir de 1982. La loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions a eu pour objectif la suppression des tutelles administrative et financière, afin de renforcer les libertés locales comme le suggère le titre de la loi. Le législateur de 1982 souhaitait transformer la tutelle a priori exercée par le préfet en un contrôle a posteriori confié au juge administratif. Après cette loi, la législation s’est stabilisée, s’agissant du contrôle de l’Etat sur les collectivités territoriales.

Le cadre constitutionnel du contrôle exercé sur les collectivités territoriales, qui ne date que de 1946, n’a pas connu depuis cette date de grands bouleversements et s’est adapté à ces diverses législations, manifestant ainsi sa grande plasticité ou souplesse. Il a fallu l’intervention du juge constitutionnel pour que celui-ci trouve à s’appliquer (I). Loi et jurisprudence constitutionnelle imposent de concilier le rôle de l’Etat et la libre administration des collectivités territoriales (II).

1. L’encadrement constitutionnel du contrôle des collectivités territoriales.

Il faut attendre les constitutions du XXème siècle pour que ces textes fondateurs contiennent des dispositions relatives au contrôle exercé par l’Etat sur les collectivités territoriales. Tel fut d’abord le cas du «Projet d’avril 1946» dans son article 117 intégré dans le Titre VIII intitulé «Des collectivités locales»: «La coordination de l’activité des fonctionnaires de l’État la représentation des intérêts nationaux et le contrôle administratif des collectivités locales sont assurés dans le cadre départemental par des délégués du gouvernement désignés en Conseil des ministres». La même rédaction fut retenue dans le texte adopté par le peuple français et devenu la Constitution du 27 octobre 1946 instaurant la IVème République, après le rejet par référendum du premier projet. L’article 88 du titre X «Des collectivités territoriales» reprenait les mêmes dispositions que le texte d’avril 194622: «La coordination de l’activité des fonctionnaires de l’Etat, la représentation des intérêts nationaux et le contrôle administratif des collectivités territoriales sont assurés, dans le cadre départemental, par les délégués du Gouvernement, désignés en Conseil des ministres». Le texte mêlait ainsi des considérations liées à la déconcentration de l’administration de l’Etat et des principes liés à l’administration décentralisée.

Le texte initial de la Constitution promulguée le 4 octobre 1958 était moins général et disposait à l’alinéa 3 de l’article 72 que «Dans les départements et les territoires, le délégué du Gouvernement a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois».

Depuis la révision du 28 mars 2003[2], la disposition est devenue l’alinéa 6 de l’article 72 et elle a été légèrement modifiée: «Dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l’État, représentant de chacun des membres du Gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois». Il n’est pas certain que la clarté y ait beaucoup gagné, ne serait-ce que par la référence à la formulation «dans les collectivités territoriales de la République» qui semble indiquer qu’il existe une autorité de contrôle dans chacune de ces collectivités, ce qui n’est pas le cas.

Ces dispositions inscrites dans le Titre XII consacré aux collectivités territoriales ne peuvent pas ignorer l’article 1er de la Constitution définissant la République dans son ensemble. Dans la première phrase de son alinéa 1er, il est affirmé que «La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale». La suite de cet alinéa apporte d’autres éléments susceptibles de guider l’activité de contrôle exercé par l’Etat sur les collectivités, même si aucun lien, formel ou rédactionnel, ne relie cet article 1er et l’article 72 précité: «Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée». Tout au plus l’ajout en 2003 de «l’organisation décentralisée», selon cette formule malheureuse par son imprécision, tempère le caractère indivisible de la République[3].

Même si la rédaction de l’alinéa 6 diffère, depuis 2003, de celle de l’alinéa 3 du même article 72 adopté en 1958, les principes qui y sont contenus ont pu encadrer aussi bien le régime de la tutelle d’avant 1982 que celui du contrôle de légalité en vigueur depuis cette date. Les modifications de cet alinéa qui sont intervenues en 2003 n’ont en effet pas concerné les modalités du contrôle, mais le cadre de celui-ci et la qualification de l’autorité qui l’exerce. La dénomination de celui qui est chargé d’exercer le contrôle a en effet été modifiée car de «délégué du gouvernement» dans la rédaction antérieure à 2003, formule qui pouvait avoir une connotation plus politique, il est devenu le «représentant de l’État», expression plus abstraite qui reprend la terminologie utilisée depuis les lois de 1982 pour le désigner.

Cette qualification désigne néanmoins les mêmes autorités après 2003 qu’avant cette date, c’est-à-dire les préfets dans les départements, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon ou les autres représentants de l’État dans certaines collectivités situées outre-mer, comme le haut-commissaire de la République dans les collectivités d’outre-mer (Polynésie française[4], à Wallis-et-Futuna[5]) ou même en Nouvelle-Calédonie qui dispose pourtant d’une autonomie constitutionnellement garantie[6]. Le contrôle exercé par le représentant de l’État est une des façons d’assurer la prééminence des intérêts nationaux sur les intérêts locaux et de faire prévaloir l’unité de l’ordre juridique français. Sur l’ensemble du territoire, la loi doit être appliquée de la même manière et le contrôle, exercé en vertu de l’article 72, est conçu comme le moyen le plus propice pour atteindre ce résultat. C’est en cela que le lien implicite peut être fait entre les principes généraux posés par l’article 1er et les dispositions de l’article 72. Ce contrôle a connu une évolution très importante, à partir de 1982, qui s’est déroulée à droit constitutionnel constant, mais sous le contrôle du juge constitutionnel.

Le texte constitutionnel n’est en effet pas le seul à pouvoir servir de cadre, il doit être complété par la jurisprudence du juge constitutionnel. Celui-ci n’a pas été saisi de la question du contrôle au cours des vingt-cinq premières années de la Vème République, pas plus d’ailleurs que les autres dispositions relatives aux collectivités territoriales. Il a fallu attendre la décision n° 82-137 DC du 25 février 1982, à propos de la loi du 2 mars 1982 pour définir le cadre général du contrôle et au-delà poser la définition de la décentralisation à la française qui se caractérise par un équilibre entre la libre administration des collectivités et l’obligation du contrôle de l’Etat du fait de l’indivisibilité de la République. La référence aux libertés des trois catégories de collectivités territoriales était concrétisée par l’existence de chapitres de la loi intitulés «Suppression des tutelles administrative et financière».

Depuis cette décision, la jurisprudence a connu une évolution quant aux modalités et aux caractéristiques du contrôle apportée par la décision n° 2004-490 DC du 12 février 2004 (Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française). La généralité des termes employés par le Conseil constitutionnel en 2004 indique néanmoins que la position adoptée ne se limite pas à la seule Polynésie, objet de la loi, mais vaut pour l’ensemble des collectivités territoriales. Plus que d’un revirement, il ne s’agit que d’une reformulation de sa jurisprudence antérieure. Cette décision de 2004 précise aussi le rattachement exprès du déféré préfectoral, c’est-à-dire du recours spécifique du préfet, à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui dispose que «Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution» Cette formulation très générale s’ajoute à l’article 72 pour justifier le principe même du contrôle, mais elle n’a pas que peu de rapports avec les collectivités territoriales. Selon cette interprétation, la possibilité pour le préfet de saisir le juge, indépendamment du recours que peut engager tout intéressé, participe du respect de la légalité, et par conséquent, constitue une condition essentielle de la garantie des droits inscrite à l’article 16. Le contrôle de l’Etat sur les collectivités territoriales bénéficie ainsi de deux fondements qui n’ont pas de rapport direct entre eux.

La comparaison avec la Constitution italienne est éclairante. Celle-ci contient deux dispositions beaucoup plus concrètes et précises que la loi constitutionnelle française. Dans son article 126 modifié par la loi de révision n° 1 du 22 novembre 1999, elle prévoit la dissolution du conseil régional et la destitution du président de la junte régionale par «un décret motivé du président de la République, lorsqu’ils ont commis des actes contraires à la Constitution ou de graves violations de la loi», ce texte étant entouré de garanties procédurales. Quant à l’article 127, modifié par la loi de révision n° 3 du 18 octobre 2001, il est relatif au contrôle de constitutionnalité devant la Cour constitutionnelle des lois régionales lorsque le Gouvernement estime qu’elles excèdent la compétence de la région. Une procédure en sens inverse, pour une loi ou un autre acte ayant valeur de loi de l’État ou d’une autre région, permet à une région de déclencher le contrôle de constitutionnalité devant la Cour constitutionnelle si elle estime que ce texte porte atteinte au domaine de sa competence.

Contrôle sur les actes et les personnes, juridiction constitutionnelle compétente, dispositions réservées aux seules régions, l’encadrement constitutionnel diverge beaucoup entre les deux pays. Un autre cadre juridique est en revanche commun à la France et à l’Italie et trouve sa source dans l’article 8 de la Charte européenne de l’autonomie locale signée le 15 octobre 1985 et intitulé «Contrôle administratif des actes des collectivités locales» et dont le paragraphe 1er dispose que «Tout contrôle administratif sur les collectivités locales ne peut être exercé que selon les formes et dans les cas prévus par la Constitution ou par la loi». Cette stipulation vient préciser que le contrôle exercé sur les collectivités ne peut être assimilé à d’autres formes de contrôle administratif et doit respecter l’autonomie locale garantie par cette Charte[7].

2. La conciliation d’exigences constitutionnelles.

En France, la décentralisation n’a jamais été synonyme de liberté totale pour les collectivités territoriales et celles-ci subissent un contrôle qui est exercé, dans un État unitaire comme la France, par des autorités étatiques. Il ne peut y avoir de libre administration sans le contrôle exercé par l’État. Au sein des États fédéraux, le contrôle des collectivités territoriales est assuré par les États fédérés, qui sont en principe eux-mêmes des États unitaires.

La conciliation entre la libre administration et la nécessité du contrôle est exprimée dans les alinéas 3 et 6 de l’article 72. Le premier met l’accent sur la libre administration «dans les conditions prévues par la loi». Il ressort de l’association des dispositions relatives à la libre administration et au contrôle au sein du même article 72 que le contrôle sur les collectivités territoriales, s’il constitue une obligation constitutionnelle, ne peut être le même que celui qui existe dans une relation hiérarchique, par exemple dans le cadre de l’administration déconcentrée car, tout en maintenant le caractère unitaire de l’État, il doit respecter la libre administration.

Ce contrôle de l’État sur les collectivités territoriales ne doit pas se confondre avec les formes de contrôle indirect que peuvent exercer les collectivités territoriales les unes sur les autres, notamment des plus importantes sur les plus petites. La loi constitutionnelle du 28 mars 2003, après la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État interdisant la tutelle «sous quelque forme que ce soit» (art. 2 de la loi codifié à l’article L. 1111-3), a souhaité d’ailleurs interdire toute forme de tutelle entre les collectivités: «Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre» (art. 72 al. 5).

Le contrôle exercé par l’Etat n’empêche pas l’existence de plusieurs autres formes de contrôle. Outre le contrôle démocratique exercé par les électeurs à chaque consultation électorale et par les administrés ou les usagers, le contrôle peut se manifester par un contrôle au sein des collectivités décentralisées, d’un organe sur un autre par des mécanismes de responsabilité empruntés au régime parlementaire.

La conciliation d’exigences constitutionnelles contraires a été exposée dans la décision n° 137 DC du 25 février 1982 précitée. Les requérants, qui étaient des parlementaires de l’opposition, estimaient que la loi privait le représentant de l’Etat de sa compétence d’exercer le contrôle administratif, d’assurer le respect de la loi et de préserver la liberté des citoyens car il ne disposait plus que du pouvoir de déférer les actes au tribunal administratif, au terme d’un délai d’attente, sans que ce recours ait de plein droit effet suspensif. Le Conseil n’a pas fait droit à cette requête, mais il a jugé que les alinéas 2 et 3 de l’article 72 dans leur rédaction applicable en 1982, posaient les fondements de ce contrôle «décentralisé» dans un équilibre subtil. Il a estimé ainsi que «si la loi peut fixer les conditions de la libre administration des collectivités territoriales, c’est sous la réserve qu’elle respecte les prérogatives de l’Etat énoncées à l’article 3 de cet article; que ces prérogatives ne peuvent être ni restreintes ni privées d’effet, même temporairement; que l’intervention du législateur est donc subordonnée à la condition que le contrôle administratif prévu par l’article 72, alinéa 3, permette d’assurer le respect des lois et, plus généralement, la sauvegarde des intérêts nationaux auxquels, de surcroît, se rattache l’application des engagements internationaux contractés à cette fin» (considérant 4). La reconnaissance du caractère exécutoire des actes avant même leur transmission au représentant de l’Etat, c’est-à-dire alors qu’il n’en connaît pas la teneur et n’est donc pas en mesure de saisir la juridiction administrative d’un recours assorti d’une demande éventuelle de sursis à exécution, privait l’Etat, fût-ce temporairement, du moyen d’exercer les prérogatives qui lui sont réservées par l’article 72, alinéa 3 de la Constitution. Il est remarquable de constater que c’est cette seule disposition de la loi de 1982 qui a été censurée par le Conseil constitutionnel.

Afin de corriger cette inconstitutionnalité et de combler les lacunes de la loi, le Parlement dut adopter la loi modificative du n° 82-623 du 22 juillet 1982 précisant les nouvelles conditions d’exercice du contrôle administratif sur les actes des autorités communales, départementales et régionales dans le sens voulu par le Conseil constitutionnel. Elle a ainsi prévu que les actes locaux ne deviennent exécutoires qu’à la double condition d’avoir été publiés et transmis au représentant de l’État. Mais afin d’éviter l’inflation des textes à adresser aux préfectures, la loi a dressé la liste des actes dont la transmission est une condition de leur caractère exécutoire. Il s’agit des actes les plus importants, ou considérés comme tels par la loi qui a été codifiée dans ces termes au Code général des collectivités territoriales (art. L. 2131-1 et s., L. 3131-1 et s. et L. 4141-1 et s.).

De façon notable, la loi du 22 juillet 1982 a voulu respecter les interprétations directives du Conseil constitutionnel, ce qui explique que cette loi ait été adoptée facilement par le Parlement et qu’elle ne lui ait pas été déférée. Elle illustre ainsi les rapports complexes entre le constituant, le juge constitutionnel et le législateur. Les lois qui ont suivi celles de 1982 se sont contentées de réduire la liste de ces actes obligatoirement transmis, afin de rendre le contrôle plus efficace car plus concentré. Ces textes montrent d’ailleurs que les conditions dans lesquelles le contrôle est assuré ne sont pas totalement satisfaisante[8]. C’est la raison pour laquelle la décision précitée n° 490 DC du 12 février 2004 est venue préciser qu’«aucune exigence constitutionnelle n’impose que le caractère exécutoire des actes des collectivités territoriales dépende dans tous les cas de leur transmission au préfet» (cons. 110). Le Conseil constitutionnel a repris cette affirmation dans sa décision n° 2021-816 DC du 15 avril 2021 (Loi organique relative à la simplification des expérimentations mises en œuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution, §. 6). Le législateur peut ainsi prévoir que seuls certains actes de la collectivité territoriale donnent lieu à transmission obligatoire, puisque le représentant de l’État garde toujours la possibilité d’exercer un contrôle de légalité. Sans doute aussi le juge constitutionnel a-t-il voulu prendre en compte la pratique du déféré préfectoral et, plus précisément, le faible nombre de recours engagés par les préfets.

Toujours après 1982, en précisant que le représentant de l’État «était tenu» d’exercer son contrôle, le Conseil constitutionnel a indirectement voulu montrer que la mission de ce représentant est inscrite dans la Constitution et qu’il ne peut pas l’exercer en toute liberté ou au gré des circonstances, ni que ce représentant n’était pas obligé de saisir le juge comme on avait pu le penser après la décision de 1982 (décision n° 93-335 DC du 21 janvier 1994, Loi portant diverses dispositions en matière d’urbanisme et de construction, considérant 21). La lettre de l’article 72 semble bien avoir valeur impérative et le contrôle n’est donc pas une simple faculté laissée à la discrétion du représentant de l’Etat.

En ce qui concerne le contrôle sur les personnes élues au sein des collectivités territoriales et à la différence de la Constitution italienne qui prévoit expressément cette possibilité (cf art. 126 précité), les lois de décentralisation inaugurées en 1982 pouvaient laisser penser que le régime du contrôle sur les personnes (tutelle ou véritable pouvoir hiérarchique?) n’était peut-être pas conforme au principe de libre administration des collectivités territoriales et au respect du suffrage universel, même indirect. Le Conseil constitutionnel a néanmoins jugé que la procédure de révocation d’un maire par décret en Conseil des ministres était conforme à la Constitution (déc. N° 2011-210 QPC du 13 janv. 2012, M. Ahmed S.). Il a en effet estimé que l’institution de sanctions réprimant les manquements des maires aux obligations qui s’attachent à leurs fonctions ne méconnaît pas, en elle-même, la libre administration des collectivités territoriales et que la suspension ou la révocation, qui produit des effets pour l’ensemble des attributions du maire, est prise en application de la loi. La tutelle sur les personnes n’est donc pas, en soi, contraire, à la Constitution.

  1. Professore di Diritto pubblico presso l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
  2. Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République.
  3. L’alinéa 2 de cet article 1er, ajouté par la révision du 23 juillet 2008, dispose que «La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales», ce qui est une autre manière de caractériser la République.
  4. Loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française et loi n° 2004-193 du 27 février 2004 complétant le statut d’autonomie de la Polynésie française
  5. Loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 conférant aux îles Wallis-et-Futuna le statut de territoire d’outre-mer, art. 8. 
  6. Loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, art. 200 et s. et loi n° 99-210 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.   
  7. Les paragraphes 2 et 3 de l’article 8 de la Charte encadrent les modalités du contrôle: «2. Tout contrôle administratif des actes des collectivités locales ne doit normalement viser qu’à assurer le respect de la légalité et des principes constitutionnels. Le contrôle administratif peut, toutefois, comprendre un contrôle de l’opportunité exercé par des autorités de niveau supérieur en ce qui concerne les tâches dont l’exécution est déléguée aux collectivités locales. 3. Le contrôle administratif des collectivités locales doit être exercé dans le respect d’une proportionnalité entre l’ampleur de l’interven-tion de l’autorité de contrôle et l’importance des intérêts qu’elle entend préserver».
  8. Sur ce sujet voir la communication de Laetitia Janicot au présent Séminaire.